Discours de Jim Boumelha, président de la FIJ, à la séance d’ouverture du congrès de la Fédération arabe des journalistes, Tunis, 21 mai 2016

 

Tout d’abord je tiens à vous remercier de m’avoir invité, je remercie en particulier la direction de  votre Fédération, son Secrétaire général, sa présidence et son comité exécutif et je tiens à remercier les collègues tunisiens pour l’effort magnifique à organiser ce congrès.

Je vous salue  tous au nom de la FIJ et ses 180 syndicats et toutes ses régions. Et bien qu’il est vrai que formellement vous n’êtes pas une organisation régionale dans la FIJ, nous vous avons considérée comme telle pendant de nombreuse années. En effet aujourd’hui votre région reçoit le plus grand nombre de nos projets,  et nous nous sommes pleinement engagés à travailler avec vous dans la plupart de vos pays, en particulier ceux où les journalistes subissent des pressions les plus aigues.

Nous sommes bien loin de la période où il y a avait une forte méfiance réciproque et où on passait par des périodes de doute et même d’animosité. Peut-être certains d’entre vous pourraient se rappeler un de vos congrès où on m’avait invité pour prendre la parole et puis soudainement on me l’a refusé à la dernière minute. Toutes ces anectodes sont dernière nous et je pense que nous pouvons nous féliciter du chemin solide que nous avons parcouru ensemble.

Je suis conscient que c’est bien la dernière fois que j’adresse votre congrès en tant que président de la FIJ, mais je voudrais vous assurer que ce ne sont pas mes adieux.

J’espère qu’après le prochain congrès de la FIJ à Anger, je continuerai à jouer un rôle de premier plan, à vous aider dans vos projets, à défendre vos syndicats et vos journalistes, et à faire mon possible pour que la voix des journalistes arabes puisse se faire entendre au plus haut niveau de la famille mondiale des journalistes.

Même si la notion de journalisme independent et de la liberté de la presse nous est parvenu par le biais d’un passé spécifique, sous l’influence de cultures occidentales, ses élans sous-jacents sont universels. Et c’est là où les journalistes à l’échelle mondiale sont solidaires pour revendiquer nos valeurs journalistiques.

La FIJ a été fondée en 1926, et dans ce geste historique, les journalistes se sont écartés des organisations dominées par les employeurs à une époque où le concept de journalisme international avait commencé à prendre racine. Après la deuxième guerre mondiale,  la FIJ et ses syndicats commencèrent à unir leurs efforts en vue d’obtenir l’acceptation de normes professionelles partout dans le monde. Ils adoptèrent de nouveaux codes qui aujourd’hui dominent le monde du journalisme dont la déclaration des principes de la FIJ sur le comportement des journalistes adoptée en 1954   a été un jalon historique.

Durant la guerre froide où le journalisme fut aspiré par les tourbillons des luttes idéologiques, Sean McBride énonça dans son rapport à l’UNESCO les normes professionels pour un nouvel ordre mondial de l’information. Une de ses citations est toujours d’actualité “Pour le journaliste, la liberté et la responsabilité sont indivisibles. Une liberté dépourvue de responsabilité est une invitation à la distortion et à d’autres abus. Mais sans liberté, la responsabilité ne peut être exercée.”

A la FIJ nous fêterons nos 90 ans à notre prochain congrès à Angers où beaucoup d’entre vous seront presents.

Aujourd’hui,  les médias et journalisme, forts de la convergence des technologies et de la révolution de l’Internet, n’ont jamais exercé un rôle aussi important et aussi influent, mais la lutte pour protéger le journalisme indépendent se poursuit dans toutes nos régions.

Ce combat provient d’une contradiction entre nos principes de journalisme d’une part et les interêts politiques de gouvernements ou commerciaux des employeurs.

Et pendant ces 90 ans de combat, nos syndicats ont eu pour mission de maintenir des pratiques journalistiques saines et de qualité pour renforcer l’indépendance éditoriale, la gestion de l’éthique, la transparence et les systèmes crédibles d’autorégulation.

Nos méthodes de travail qui ne datent pas d’hier mais qui sont le fruit de dizaines d’années d’expériences et d’activité souvent dans des conditions difficiles et dangereuses pour promouvoir bon nombre de principes démocratiques – liberté d’expression, liberté d’association, conditions décentes de travail, élimination de toute forme de corruption, de contrôle et de règlementation de l’information.

Et pourtant on entend souvent dire comment le groupe des G20, ou le secrétaire des Nations unis ou de l’UNESCO,  pourraient bénéficier directement du conseil des 4 ou 5 ONGs de média qui sont actifs au niveau international pour fixer les classements par pays – menu gastronomique annuellement cuisiné par Reporters sans frontières et servi sur les meilleures tables des ambassades françaises – ou qui font l’évaluation globale des libertés de presse; et tout celà en contournant les journalistes et leurs organisations.

J’ai dit et je le répète encore que ce sont des notions absurdes.  Passer du temps à analyser que le Burkina Faso a sauté de quatre places pour devancer la Papouasi-Nouvelle Guinée en matière de liberté de presse est grotesque.  

Pendant 90 ans au lieu de se jeter à plein corps dans ces distractions à l’infini, une de nos préoccupations primordiales fut de travailler au jour le jour pour renforcer les principes de liberté de la presse, les droits constitutionels et les lois en général. Celà a nécessité de notre part  batir des structures pour surveiller munitieusement les lois qui continuent à nous être défavorables pour les remplacer  par des législations qui assurent la protection des journalistes et qui avancent les libertés de la presse. Certains changements et mutations sont en effet complexes et nécessitent des pistes de réflexion  spécifiques, comme par exemple les lois relatives aux blasphèmes ou aux insultes.

Si vous me le permettez, j’énoncerai les cas les plus importants où nous sommes engagés au quotidien:

  • L’état remplit-il ses obligations internationales en matière de défense de la liberté de presse et des médias, de lutte contre l’impunité et de protection de journalistes?
  • La loi protége-t-elle le droit des journalistes à la confidentialité des sources d’information?
  • Et où en sommes nous avec les lois criminalisant la diffamation?
  • Existent-ils des lois protectrices du pluralisme et sanctionant la concentration des médias?
  • Existent-ils des lois protégeant la liberté de l’information?
  • Les médias publics agissent-ils conformément aux principes d’indépendence et de transparence éditoriale du service public. Sont-ils à l’abri de contrôle politique?
  • La propriété et le financement de l’organe de presse sont-ils pleinement transparent aux yeux du public?

Pendant toute notre histoire nous avons travailler dur pour chercher des solutions aux problèmes et interrogations auxquels les médias modernes sont confrontés et défendre nos traditions déontologiques. Mais souvons cette histoire passe par des périodes de recul comme nous le constatons aujourd’hui.

Même en Europe, un continent où on trouve un niveau de liberté du journalisme le plus élevé, le constat aujourd’hui est amer en matière de respect de la liberté d’expression et de la presse. Nous en observons d’ores et déjà une dégradation de la liberté de la presse. On voit de plus en plus des gouvernements recourir à des méthodes autoritaire en Hongrie, en Pologne, dans mon pays le Royaume-Uni, mon pays, où la police saisi à tours de bras des relevés téléphoniques de journalistes d’investigation, sans l’autorisation d’un juge.

Il est clair que nous sommes entrés dans une ère de guerre de l’information. Beaucoup de dictatures créent leurs groupes de médias pour diffuser leur « bonne parole.  Dans certaines démocraties, le système politique essaie de reprendre le contrôle du débat public, et on se demande comment un journalisme éthique pourra survivre.  La question de l’indépendance de l’information est primordiale. Il est crucial que les journalistes se libèrent des intérêts des propriétaires ou de ceux, responsables politique set oligarches économiques, chefs religieux, qui contrôlent les groupes de média. Partout c’est devenu un combat stratégique.

Il en est de même pour votre région. Nous nous sommes régulièrement réuni depuis le début du soi-disant “printemps arabe”,  et nous nous sommes engagés tous ensemble à lutter pour le changement. Nous avons demandé des réformes profondes, l’annulation des lois liberticides, la promulgation de lois qui protègent et avancent le travail de nos journalistes conformément aux normes internationales, le droit de l’accés à l’information et la protection des sources, la dépénalisation de notre profession, le restructuration des medias publics et aussi mettre fin à la saisie arbitraire des journaux, la fermeture des télévisions, aux amendes fortes et à toute les formes de pre-censure.

Nous avons mis en marche un plan d’action sur les questions de sécurité des journalistes qui ont été touchés durement et qui continuent de souffrir en Palestine, au Yemen, en Syrie et en Libye.

Aujourd’hui nous sommes toujours à cette croisée de chemins et il est important que nous continuons à travailler ensemble et jouer un rôle actif, malgrè les revers, pour promouvoir des débats publics et avancer nos campagnes pour des réformes profondes pour un journalisme libre et des organisations indépendantes de tous les intérêts.

Finalement, on a toujours dit que les journalistes dans la région arabe ont la plus haute montagne à grimper, ont le marathon le plus long. Mais pour réussir nos défis,  il est important de se doter de tous les outils nécessaires pour confronter gouvernments et politiciens, qui signent des traités internationaux et souvent ignorent leur contenu aussi bien que nos employeurs qui continuent à concevoir les médias comme de produits marchands.

Et un des outils les plus robustes pour abattre les murs que constituent les préjugés, l’ignorance et le sentiment d’impuissance est notre SOLIDARITÉ. Quelque chose qu’aucune de ces ONGs ne savent comment promouvoir.

Nous l’avons fait dernièrement à Casablanca quand nous avons soutenu nos collègues égyptiens après l’attaque sur leur syndicat et je vous implore de le faire aujourd’hui pour soutenir notre collègue Ibrahim Hilal, un journaliste d’Al Jazira membre de mon syndicat au Royaume Uni et Irlande, récemment condamné à mort par contumace par un tribunal égyptien.

Je vais vous délivrer ce matin un message de la secrétaire générale de la National Union of Journalistes, Michelle Stanistreet, qui écrit que la  “criminalisation des journalistes est non seulement une attaque contre un journaliste, c’est une attaque contre nous tous et porte atteinte à la capacité des journalistes à faire leur travail sans crainte d’attaques et de représailles. Les journalistes égyptiens et ceux qui travaillent en Egypte doivent être en mesure de fonctionner librement et sans le spectre des menaces perpétuelles. Aidez la FIJ et son syndicat au Rouyaume uni à soutenir Ibrahim.”

Au nom de la FIJ et de tous ses syndicats à travers le monde, je fais au sein de ce congrès un appel solennel au president al-Sisi pour que cette condamnation à mort soit renversé ou qu’un pardon soit accordé.”

C’est cette lutte de tous les jours qui fait la difference. En fin de compte il revient à nous, nous les syndicats représentants les journalistes, pour que nos members soient toujours debout côte à côte. Il est de notre devoir de défendre nos valeurs communes, celles d’un journalisme vigilant et fidèle à la verité, jaloux de son independence, et par dessus tout, défenseur de l’interêt public. Je vous souhaite un congrès plein de success.